samedi 18 septembre 2010

U-turn

C'était un matin, il était tôt encore, seul quelques personnes prenaient leur déjeûner sur les terrasses déjà tièdes de Casa.
Tout en dégustant mon kahwa, j'ai aperçu à ma droite, à une table de là, un mec qui avait l'air bien bandant: une structure massive, un visage ouvert et sympa, et des bras bien poilus. Je rêvais déjà à l'effet étau de ses jambes velues serrant ma tête sous l'emprise du plaisir.
Déjà enhardi par l'image, j'ai donc risqué un coup d'oeil dans sa direction... il semblait m'avoir remarqué aussi. J'aurais voulu être sa main posée sur sa jambe gauche, à quelques centimètres de sa bosse.
Après l'avoir regardé avec plus d'insistance, je me suis levé pour payer mon café et je suis parti comme une pétasse, mais un peu salope quand même pour ne pas trop le décourager : je me suis dirigé vers la rue perpendiculaire, sans prendre attention à lui, mais assez lentement, pour qu'il ait le temps de payer sa conso et me suivre.
Cette fois, ça n'a pas raté, j'avais à peine tourné le coin de la rue qu'il rappliquait dans ma direction. Je lui ai souri, il m'a souri, nos regards se pénétraient comme dans les chansons d'amour pour pucelles, sauf que mes pensées à moi n'étaient pas candides du tout... Je lui ai proposé "innocemment" de prendre un verre, en attendant l'effet que ça allait faire sur sa physionomie masculine. Il me regardait toujours en souriant, figé. J'ai reposé ma question et je me suis rendu compte qu'il ne me comprenait pas.
En fait, il ne parlait pas un mot de français. Et moi je ne parlais pas un mot d'arabe. En attendant le body language, il fallait quand même bien qu'on trouve un moyen de se comprendre...
Finalement, je ne sais pas trop comment, en mélangeant toutes les langues du monde, on a réussi à se mettre d'accord, on est allé boire un verre. Puis, après 15 longues minutes de gargarismes linguistiques, il m'a fait comprendre qu'il voulait qu'on prenne un grand taxi (les grand taxis au Maroc, c'est des Mercedes où on se met à 2 devant et à 4derrière, il faut pas avoir un gros terme, mais c vraiment pas cher).
On a roulé pendant des kilomètres, et pourtant on était toujours à Casa. J'étais loin d'imaginer que cette ville était aussi étendue, et dire que Bruxelles prétend être une capitale, avec son centre que l'on traverse en quelques minutes!
On est enfin arrivé, il a acheté du poulet et des pastèques, sans doute qu'il voulait qu'on se fasse un petit repas intime. C'était émouvant et je suis sûr que Laura Ingaels aurait versé une larme.
Il m'a fait rentrer dans un appartement... vide, qui avait l'air d'être en pleine construction.
J'avais l'impression que c'était une tanière, le repère d'une bête qui ne rentre chez elle que pour dormir. Tout était à l'abandon, tout était sale.
Dans la cuisine, un frigo vide, excepté une bouteille d'eau et la pastèque qu'il venait d'acheter. Dans la salle de bain, un récipient crasseux et un sachet de "Tide" à moitié entammé. Ailleurs... rien sauf un matelas et une couverture.
Je suis revenu vers lui.
Il essayait de griller le poulet à même la flamme d'un réchau, il commençait à avoir, même dans les gestes les plus banals, une attitude hystérique et moi je me commençais à me demander si je n'allais pas me retrouver séquestré dans une cave avec le caniche de Buffalo Bill comme seule compagnie.
Il m'a tendu un morceau à moitié cru de poulet en même temps qu'il engloutissait la chair encore rose. Pour ne pas le contredire, car mon hésitation semblait l'énerver, j'ai goûté la viande. C'était immonde, flasque et froid. J'avais envie de tout balancer par la fenêtre mais, la nausée à la gorge, je continuais à manger.
J'avais de moins en moins envie d'assister à la suite des événements. Tout son charme s'était évanoui lorsqu'il avait enlevé ses chaussures. On aurait dit que ses pieds étaient teints par la crasse. Le pire c que lui se rapprochait de moi progressivement. Je lui ai fait comprendre, comme une vierge effarouchée qui se rend compte qu'elle va passer à la casserole, qu'il était tard et qu'on m'attendait... Bien qu'il m'ait compris, il avait l'air assez excité que pour ne pas me laisser sortir.
Me rappelant les conseils de ma vieille tante Yliasse, je me suis dit: "Courage, quand il aura pris son pied, il te fera dégager."
J'ai enlevé son pantalon pour découvrir que finalement ses pieds n'étaient pas si sales... Hum, j'étais tout à fait refroidi, plus encore que le poulet qu'il m'avait infligé. Je me demandais quelle partie de mon corps j'allais sacrifier. pale
Finalement, j'ai commencé à la main. Il semblait apprécier mais ça ne venait pas. Il voulait que je le pompe, j'ai proposé qu'on prenne une douche ensemble dans l'espoir que ça enlèverait quelque chose... mais il m'a fait comprendre que la douche ne fonctionnait pas. Tout s'expliquait enfin!
Je lui ai dit que j'étais fatigué, que je voulais rentrer. J'ai compris qu'il n'y avait plus de taxi pour la ville à cette heure-là... mais que je pouvais dormir avec lui. Et là, miracle, il a commencé à prononcer quelques mots de français... Il me disait qu'il connaissait beaucoup de gens, surtout dans la police puis il a ajouté qu'il m'aimait, en me serrant contre sa poitrine qui sentait la transpiration; Il me demandait de rester là quelques jours avec lui. Il avait le regard d'un fou. C'était tellement loin des fantasmes qu'il avait éveillés!!
Et maintenant, il me demandait en mariage! Là, ça devenait malsain. Je sentais que je n'étais pas prêt de sortir d'ici.
Et je me souvenais de son air obstiné et menaçant lorsque je lui montrais que je voulais partir...
Quel jeu faut-il jouer avec un dingue? Tout simplement rentrer dans son délire et ne pas le contrarier. Telle une Juliette de 4 sous, je l'ai serré contre moi, je lui ai dit que je voulais qu'on ne se quitte plus, qu'on se marie. Il m'étreignait passionément.
Mais j'étais en apnée depuis trop longtemps. Je lui ai dit que je voulais dormir un peu. Bercé par nos futures noces, il s'endormait. Moi je réfléchissais, il avait fermé la porte à clef, mais où étaient-elles, ces putains de clefs?!? J'ai essayé de me dégager de lui, il a poussé un grognement et m'a enlacé.
Je n'arriverais pas à me lever sans le réveiller...
et si je prétextais d'aller aux toilettes? Il ne comprendrais pas pourquoi je m'habillais...
Me débattre? impossible, il était deux fois plus large que moi.
Il fallait attendre le lendemain.
Après une nuit à me battre contre des moustiques, je lui ai proposé d'aller en ville pour aller déjeuner.
Il m'a dit qu'il y avait tout ici; quelle ironie! j'ai eu envie d'éclater de rire mais je lui ai répondu que je devais passer prendre des affaires chez moi. Il a eu l'air d'hésiter puis, il a grogné qu'on sortait.
On a pris un taxi, pendant le voyage, il me caressait et me disait qu'il m'aimait, les regards latéraux, obliques et contre-plogeants disaient que tout le monde se demandait quoi : C pas vraiment habituel ce genre de spectacle explicite au Maroc.
Puis, on est arrivés au centreville. Je suis descendu en premier du taxi. Il avait proposé de m'accompagner jusqu'à l'hôtel. Je devais agir. J'ai vu le rouge flamboyant d'un petit taxi un peu plus loin. Mon futur mari était en train de payer. J'ai pris mes jambes à mon cou comme une gazelle poursuivie et je suis rentré dans le taxi en demandant d'aller vers la corniche. L'autre courait derrière nous, et le feu allait passer au rouge. Je n'avais pas envie de tout expliquer au chauffeur, mais je ne voulais surtout pas retomber dans les grosses pattes poisseuses de mon ravisseur. Il se rapprochait de nous en faisant des grands signes. Je commençais à paniquer. Heureusement, j'ai aperçu un chemin sur la droite, juste avant le feu, j'ai demandé au taximan de tourner... Enfin, nous avions réussi à le distancer pour de bon et aucun taxi ne s'était arrêté pour le prendre.
J'étais hors d'atteinte, mais je vous assure que j'ai évité le centreville pendant tout le reste de mon séjour.
L'année suivante alors que je me promenais en ville, j'ai entendu crier mon prénom. J'ai juste eu le temps de voir que c'était lui... il parlait avec un policier et était habillé exactement de la même manière que l'année précédente!
J'ai fait semblant de rien et j'ai continué à avancer en accélérant le pas. Par réflexe, j'ai pris un taxi.
Je ne l'ai plus jamais revu mais je pense aujourd'hui que c'était un indic de la police et qu'il aurait vraiment pu me créer des problèmes si j'étais resté avec lui!

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